Fantasma in Carne, Elvire Ménétrier
du 1er au 19 septembre 2025
Vernissage et soirée d’ouverture Panthera x LLLC le 30 août
Exposition ouverte les mercredis, vendredis et samedis après-midi
ou sur rendez-vous à info@jeannebarret.com - entrée libre
“Les fées ont quitté la réalité des hommes pour la détruire en en créant une autre”
Larry Mitchell, Les pédales et leurs ami·es entre les révolutions, 1977
Plonger les doigts dans la chair, l’observer, la tâter, la sentir, la modeler. C’est ce que préconise la science de l’anatomie - du verbe anatomé en grec ancien “ouvrir en coupant”¹. Disséquer donc, et constater que ce qui est à l’intérieur déborde de l’humain·e ; la chair est universellement tendre. Cette tendresse la rend matière à sculpter. La manipuler c’est peut-être “choisir et redessiner sa cage”, et ainsi la rendre plus vivable. Dans cette méthode pour s’apprendre et se définir, il faut dépasser les frontières du regard et tenter de lire les mémoires dissimulées dans les viscères. Et si, comme Ambroise Paré au XVIème siècle², nous considérons que la preuve n’est pas nécessaire, que les rumeurs font aussi vérité, et que les savoirs doivent circuler, alors les créatures qui nous habitent acceptent de se dévoiler. Nous sommes fantômes, monstres et fées, il s’agit de les laisser entrer dans nos cages et invoquer leur force créatrice. Être accompagné·es de ces présences sans figure - puisque figurer une chose en efface d’autres - c’est peut-être bénéficier de la puissance de la transfiguration3. Celle des formes qui se métamorphosent pour vivre à l’infini, et qui, poreuses à leurs environnements, se liquéfient, se recomposent, se camouflent, s’adaptent, parfois surgissent et toujours résistent aux fausses icônes.
Pour Fantasma in carne, sa première exposition personnelle à Marseille, Elvire Ménétrier présente un nouveau corpus d’œuvres, dans lequel peintures, sculptures et installations révèlent les entrailles de ses recherches. L’artiste opère des incisions dans des mémoires intimes et collectives, donnant vie à des corps hybrides en lesquels fusionnent chair et métal, humain et animal, fantôme et machine. Dans un espace cathédrale, l’exposition met en scène les reliques d’un monde intérieur. Habitées d’une lueur de vie, elles sont fragiles mais résilientes.
Il émane des œuvres une lumineuse sensualité. C’est d’ailleurs en positionnant la lumière à l’intérieur des corps que l’artiste en révèle les scintillantes cavités. Alors, l’éclairage ordinairement dirigé sur eux par l’institution s’éloigne. S’emparant des outils et des discours de la médecine, Elvire Ménétrier y injecte des récits d’anticipation ; ceux de corps bioniques, de corps-datas et d’organes programmés. Les appareils sont confrontés à l’expérience de l’hybridité. Dans son processus de travail, iel alimente une intelligence artificielle pour la mettre au défi de générer des représentations non-binaires. Iel peint les images qui en résultent, ou iel les moule dans une matière organique utilisant les subterfuges des films de body horror. Ses fantasmes sont ainsi incarnés, gravés dans la chair. En miroir, des réminiscences imprimées dans le corps de l’artiste sont transposées dans les images. Et dans l’espace résonnent en hors-champ les mélodies d’une adolescence hors-corps.
Des couches de peintures forment les motifs, des couches de mots produisent des images artificielles, des couches d’impression 3D fabriquent les bas-reliefs. Ces strates indiquent l’épaisseur du propos dans lequel creuser. Elvire Ménétrier affronte la matière avec l’intention d’y inscrire des vérités alternatives. Les techniques et les savoirs s’étendent, donnant à voir une mue dans le travail de l’artiste. Iel fait de son œuvre un organisme vivant greffé au sien, qui comme iel, se métamorphose.
Léa Lascaud
¹ Paul B. Preciado, Je suis un monstre qui vous parle. Rapport pour une académie de psychanalystes, 2020, Paris Grasset
² Ambroise Paré, Des monstres et prodiges, 1573
3 Quentin Dubois, Puissances de (dé)figuration du queer. Monstres, cyborgs, zombies, 2025, Trou Noir magazine